Tout le monde entrepreneur ?

Le très célèbre économiste bangladais, Yunus Muhammad, père du micro-crédit et prix Nobel de la Paix 2006, l'a dit, chacun a la capacité de devenir entrepreneur. Si, et c'est un grand si, il peut bénéficier d'un support pour le devenir (Etat, banque, réseaux,...).

Mais, au moins en France, si certains sont attirés par cette façon de travailler, beaucoup sont rassurés de travailler en tant que salarié, et cela pour différentes raisons : activité pérenne, et donc salaire assuré d'une part, et protection sociale d'autre part, en étant les principales.

En y regardant de plus près cependant, on peut douter de la solidité de ces raisons ; en premier, l'activité pérenne au sein d'une entreprise est confrontée à l'évolution du marché et des lois ; pour le marché, on le sait, la concurrence est rude, et l'internationalisation du commerce en l'élargissant la rend encore plus rude ; pour les lois, on a connaissance de celles soutenant la flexibilité de l'emploi, bien installées en Allemagne, en Grande Bretagne,… et nouvellement en France.

En ce qui concerne la protection sociale, il faut y regarder de plus près en comparant les protections des salariés et des entrepreneurs indépendants ; ayant travaillé sous les deux statuts – et même plus si l'on tient compte de pays différents, de la distinction relevant des professions libérales,… - pour la santé, en France la sécu couvre les gros risques pareillement ; pour les petits risques, l'entrepreneur peut choisir une bonne mutuelle pour les couvrir ; même s'il paie cher, puisqu'il supporte la part employé et la part patronale, s'il gagne bien sa vie, pas de problème ; pour la retraite, s'il cotise moins, et encore une fois tout seul, il a intérêt à mettre de côté un patrimoine complémentaire, style immobilier notamment – se méfier de l'assurance vie dont l’État français peut bloquer les remboursements de capital à volonté depuis les lois prises par le précédent gouvernement - ; il peut aussi envisager des investissements de style 'grand-papa' , qui, même s'ils ne l'enrichissent pas, mettront au moins le capital de côté.

Yunus Muhammad dit aussi que travailler en tant que salarié, est, pour chacun, abandonner sa part créatrice au profit de quelqu'un d'autre ; individuellement c'est bien sûr démotivant et peu porteur pour le développement personnel.

En favorisant le statut d'entrepreneur plus que celui de salarié, un Etat peut inverser la situation ; mais il peut aussi s'y opposer en se contentant de la vision classique d'une masse de citoyens travaillant pour d'autres, et en privilégiant ces derniers ; il y a aussi la dérive de plus ou moins accepter de fait l'accroissement des entrepreneurs en laissant s'installer simultanément et de façon durable des conditions de rémunération indignes pour ceux-ci – les auto-entrepreneurs, les mini-jobs, … - … dans un marché saturé, ou dans sa phase de turbulence ou dans sa phase de déclin, c'est évidemment tentant pour les sociétés de faire appel à des entrepreneurs liés par des contrats sous-évalués.

L’État peut agir de plusieurs manières pour renforcer les entrepreneurs : la formation : soutenue pour permettre d'avoir des entrepreneurs très qualifiés dans leur technique ; le marché : l’État peut réserver une part de ses appels d'offres aux petits entrepreneurs et faire pression sur les grandes sociétés pour en faire autant; le développement : l’État peut aider à ouvrir des marchés de niche dans des secteurs de pointe (biotech, énergies 'vertes',….).

Reste à savoir quel degré de modernisme et de dynamisme nos sociétés vieillies peuvent ambitionner d'atteindre… Yunus Muhammad est Bangladais.